Introduction

L’escalade moderne, de part les contraintes qu’elle génère aux niveau des chaînes digitales, engendre une pathologie micro-traumatique de surcharge spécifique, souvent méconnue : la rupture de poulies des fléchisseurs. Parmi les trois positions de préhension de base, « tendue », « arquée » ou « en crochet », la position dite « arquée » est la plus génératrice d’accident au niveau des poulies des fléchisseurs. Dans cette position, les tensions sont extrêmes sur le canal digital et particulièrement sur la poulie A2 expliquant que celle ci soit naturellement le site privilégié des ruptures et distension lors de mise en charge violentes.

Sur le plan diagnostic, un claquement nettement audible lors de l’accident, une douleur et un gonflement au niveau de la base de la première phalange doivent faire évoquer la rupture de poulie. L’inspection recherchera une corde d’arc lors de la flexion digitale contrariée, signant une rupture complète. En cas de doute un scanner comparatif de profil en position arquée sur le doigt suspect et controlatéral devra être programmé.

Sur le plan thérapeutique, les ruptures partielles imposent le repos et une protection par le port d’une bague rigide pendant 45 jours. La rupture complète impose quant à elle une reconstruction chirurgicale. La reprise de l’escalade n’est autorisée qu’a partir du troisième voir quatrième mois.

L’évolution spontanée de ces lésions de poulie n’entraîne pas de déficience importante retentissant dans la vie quotidienne, mais peut par contre compromettre aisément une carrière sportive chez le grimpeur de haut niveau. Dans notre expérience, la reconstruction d’une poulie rompue ou sa cicatrisation protégée sont le meilleur gage de réussite et ont permis aux grimpeurs de reprendre leur pratique à un niveau au moins égal à celui du moment de l’accident dans 9 cas sur 10.

Rappel Anatomique et Biomécanique de l’Appareil Fléchisseur.

Les Tendons Fléchisseurs Profonds et Superficiels des doigts longs.

Les tendons superficiels et profonds des doigts sont issus de muscles situés dans la loge antérieure de l’avant bras. Le muscle fléchisseur superficiel s'insère en proximal au niveau de l’épicondyle médial et le muscle fléchisseur profond au niveau du tiers supérieur de l'ulna, sur la membrane interrosseuse anté-brachiale et la face antero-médiale du radius au dessous de la tubérosité biccipitale.
Des différentes fibres musculaires de ces deux muscles, se détachent quatre tendons fléchisseurs profonds et quatre tendons fléchisseurs superficiels destinés aux quatre doigts longs. Après un passage au sein du canal carpien chaque tendon se place à la face antérieure des phalanges dans un canal ostéo-fibreux. En regard de la phalange proximale le tendon fléchisseur profond passe entre les deux hémi-tendon du fléchisseur superficiel qui s’insèrent à la base de la phalange intermédiaire. Le tendon fléchisseur profond se termine à la face palmaire et au niveau de la base de la phalange distale.

Le muscle fléchisseur superficiel des doigts est innervé par une branche collatérale du nerf médian. Son action est de fléchir la deuxième phalange sur la première et, par entraînement, la première phalange sur le métacarpien. Le muscle fléchisseur profond des doigts est innervé pour ses deux chefs latéraux par le nerf médian, et pour les deux chefs médiaux par le nerf ulnaire. De par son action, le fléchisseur profond assure la flexion isolée de la troisième phalange et, par entraînement celle de la deuxième et de la première phalange.

Les poulies digitales. Les poulies maintiennent en permanence les tendons au contact du squelette de manière à éviter le phénomène de corde d’arc lors de la flexion du doigt. Elles correspondent à des bandes de tissu fibreux, d’épaisseur, de largeur et de configuration variables, renforçant la gaine synoviale. D’après Doyle, l’on distingue cinq poulies annulaires et trois poulies cruciformes, auxquelles s’ajoute les deux poulies proximales que représente l’aponévrose palmaire superficielle et le ligament annulaire antérieur du carpe.

Les poulies A1 et A2 se situent à la face antérieure de l’articulation métacarpo-phalangienne et de la partie proximale de la première phalange P1, la poulie A3 à la face antérieure de l’inter-phalangienne proximale et la poulie A4 à la partie moyenne de la phalange intermédiaire P2. Les poulies cruciformes sont obliques d’un bord à l’autre de la phalange. L’on distingue la poulie C1 à la face antérieure de la diaphyse de P1, la poulie C2 à la partie proximale de P2 et C3 à la partie distale de P2.

Sur le plan biomécanique, le rôle essentiel des poulies digitales est d’éviter le décollement des tendons fléchisseurs du plan osseux sous-jacent au moment de leur mise en tension, améliorant ainsi leur rendement mécanique. Ce rôle est assuré essentiellement par les poulies A2 et A4 qui, beaucoup plus rigides et résistantes que les autres, impriment un véritable changement de direction aux tendons fléchisseurs lors de la flexion du doigt et leur évitent à elles seules de se luxer en avant. Au contraire, les poulies A3 et C1, beaucoup plus élastiques, leur permettent de s’éloigner de l’axe de rotation de l’ IPP et d’augmenter ainsi leur angle d’attaque et par là, leur efficacité.

Sur le plan expérimental Tubiana a démontré que la section complète des poulies A2 et A3 ne permet plus la flexion complète du doigt. En cas de résection des poulies A1, A2, et A3 le déficit est encore plus marqué.

Ainsi les conséquences biomécaniques essentielles des ruptures de poulie sont une perte de force en flexion du doigt et une possible incapacité de flexion complète du doigt.

Contraintes et Prise de préhension spécifiques à l’escalade : Physiopathologie de la rupture de poulie

L’escalade sollicite fortement le membre supérieur, et tout particulièrement les doigts. La position des doigts dite « arquée », (légère flexion de l’articulation métacarpo-phalangienne, flexion à 90° de l’inter-phalangienne proximale, extension de l’inter-phalangienne distale) permet au grimpeur de s’agripper à de toutes petites prises, parfois de l’ordre de quelques millimètres.

Ainsi, en position arquée, les forces d’arrachement exercées par les tendons fléchisseurs sont concentrées sur la portion distale de la poulie A2, et peuvent entraîner une déchirure lors de sollicitations trop importantes. En position tendu avec flexion marquée de l’IPD, l’action exercée par la partie terminale du FCP sur la berge distale de A4, peut être à l’origine d’une rupture de la poulie A4.

Diagnostic des lésions de poulie.

Diagnostic Clinique.

La rupture d’une poulie digitale est un accident aigu qui survient très brutalement. Le tableau le plus typique associe Craquement, Douleur et Gonflement de P1.

Le craquement est très fortement évocateur de rupture de poulie. C’est un claquement clairement audible, souvent entendu par l’entourage (par l’assureur à quelques mètres au pied de la voie, par les autres grimpeurs dans le même local, par le public aux premiers rangs lors des compétitions). Il est retrouvé dans 80 % des cas.

La douleur initiale est modérée ou nulle au tout début, et n’apparaît que de façon retardée, au repos. Ce n’est souvent qu’après quelques minutes, voire quelques heures que la douleur s’intensifie vraiment. Il arrive cependant aussi que les grimpeurs décrivent une douleur initiale très vive, « en éclair ».
La douleur siège, en règle, au niveau de la base de P1 ou sur ses faces latérales, avec une irradiation plutôt ascendante vers l’IPP, ou la deuxième phalange. Elle n’irradie presque jamais vers la paume de la main et exceptionnellement vers l’avant bras. En cas de rupture de la poulie A4, la douleur siège sur P2.

Le gonflement est souvent tardif (quelques heures) et siège au niveau de la face palmaire de P1 en cas de rupture de A2, de la face palmaire de P2 en cas de rupture de A4. Il est loin d’être constant et ne dure le plus souvent que quelques jours. D’importance modérée, il peut tout à fait passer inaperçu. Il peut éventuellement s’accompagner d’une ecchymose (rare) qui ne dure que quelques jours elle aussi.

Ces trois signes cliniques s’accompagnent d’un degré d’impotence fonctionnelle variable. La plupart du temps, la reprise immédiate de l’escalade est impossible. Le grimpeur arrête de grimper parce qu’il « ne tient plus les prises », soit à cause de la douleur, soit parce qu’il a la sensation de « ne plus avoir de force ». Dans les activités de la vie quotidienne, le sportif peut être très peu gêné, puisqu’il utilise les autres doigts pour effectuer les gestes de la vie courante.

L’examen clinique recherchera par l'inspection un gonflement siégeant en regard de la première phalange dans la majorité des cas. L'inspection devra surtout s'attacher à rechercher une saillie des tendons fléchisseurs réalisant le signe de la corde d'arc lors de la flexion active du doigt. Ce signe fondamental est pathognomonique d'une rupture de poulie complète. Le reste de l'examen évaluera la mobilité passive des articulations inter-phalangiennes distales et proximales, une laxité éventuelle en valgus ou en varus de l’IPP, orientant vers de possibles diagnostics différentiels.

La corde d'arc correspond à la luxation antérieure des tendons fléchisseurs, qui, au moment de la flexion active des doigts, ne sont plus plaqués à l'os par la poulie lésée. Évident lorsque la rupture est massive elle peut être difficilement mise en évidence dans les formes moins sévères. La recherche de la corde d'arc s'effectue de manière comparative avec le doigt opposé en faisant varier les angles d'inclinaison du doigt par rapport au plan de la main. La flexion du doigt doit se faire contre résistance modérée que l'examinateur applique au niveau de la pulpe du doigt.

En pratique, la présence d'un décollement clinique affirme une rupture a priori complète de la poulie. L'absence de décollement clinique ne permet pas d'éliminer une rupture, qu'elle soit complète ou bien partielle, et nécessite la réalisation d’examens complémentaires.

Examens Complémentaires. 

Les radiographies standards ou l’échographie n’apportent rien au diagnostic de rupture de poulie à la phase aiguë. Leur seul intérêt réside dans l’élimination d’une lésion osseuse traumatique, ou d’une pathologie sous-jacente révélée par l’accident.

L’IRM exige une antenne particulière, et effectuée en flexion active contre résistance, permet au même titre que le scanner, de distinguer rupture totale et partielle. La collaboration du patient est essentielle puisque celui-ci doit tenir la position durant tout le temps de la réalisation de la séquence (30 sec à 2 minutes).

L'examen roi reste la tomodensitométrie (Scanner), réalisée en coupe de 1.5 mm d'épaisseur avec un filtre « parties molles », en effectuant des coupes sagittale en position arquée contre résistance. L'examen est réalisé de façon comparative avec le même doigt de la main opposée, un écart physiologique pouvant exister entre tendons fléchisseurs et phalanges., on observe en cas de rupture complète une modification de la courbe des tendons fléchisseurs qui prennent « la corde d'arc ». Cette anomalie est accentuée par la réalisation de coupe en flexion du doigt contre résistance. Les tendons fléchisseurs s'écartent de P1 quand A2 est rompue, de P2 quand A4 est rompue. La corrélation entre les images obtenues et les dégâts anatomiques constatés en per-opératoire dans les deux cas opérés par cet auteur a été parfaite.

Prise en charge Thérapeutique

Deux options sont à distinguer : un traitement conservateur en cas de rupture partielle, ou un traitement chirurgical lorsque la rupture est complète. La décision thérapeutique découle de la présence ou non d’une corde d’arc à l’examen clinique ou au bilan TDM.

Traitement Conservateur Pour les ruptures partielles de poulie, nous proposons un repos sportif complet, associé au port d’une bague pendant 6 semaines, éventuellement associée à une immobilisation partielle initiale par syndactylie. Le port d’une bague ne modifie pas la course des tendons. L’effet bénéfique décrit par l’ensemble des grimpeurs paraît lié à un rappel proprioceptif, voire à une action antalgique par compression d’un nodule ou réduction de lésions exsudatives de la gaine.

Au moment de la reprise de l’escalade, les mesures préventives telles que hydratation, étirement, échauffement sont essentielles.

Traitement Chirurgical : La plastie de ligament annulaire dorsal du carpe.

En cas de rupture complète, la luxation antérieure des tendons lors de mouvements de flexion du doigt empêche le contact entre les berges de la rupture et retarde une possible cicatrisation. De plus la poulie rompue peut éventuellement s’incarcérer entre la phalange et le tendon. La reconstruction chirurgicale est donc proposée pour les poulie A2 et A4, dont on a vu l’importance dans la force de grasp et dans l’obtention d’une flexion active complète du doigt.

Nous proposons une reconstruction par une plastie autologue de rétinaculum dorsal des extenseurs. L’intervention chirurgicale est menée sous anesthésie loco-régionale, en ambulatoire. L’exploration permet avant tout de faire un bilan des lésions du canal digital, et de préciser l’étendue de la rupture de poulie. Puis après excision de la zone cicatricielle, un greffon de ligament annulaire dorsal du carpe prélevé par une seconde incision au dos du poignet, est appliqué face palmaire du canal digital. La tension de la plastie est vérifiée en per-opératoire en réalisant une flexion du doigt par traction sur les tendons fléchisseurs.

La rééducation post-opératoire a pour but de récupérer un doigt indolore et fonctionnel, tout en répondant si possible aux exigences sportives souvent élevées du grimpeur opéré. La cicatrisation de la « néo-poulie » nécessite environ six semaines de repos et dicte les délais de la rééducation .
Les tendons fléchisseurs doivent coulisser librement sous la poulie reconstruite, sans adhérence, et doivent récupérer une course normale. L’enraidissement des petites articulations du doigt opéré doit être évité. Enfin, il faut que le grimpeur puisse reprendre peu à peu un entraînement réfléchi sous contrôle de l’équipe de rééducation, afin de récupérer son niveau antérieur. La encore, les mesures secondaires de prévention telles que hydratation, étirements et échauffement préalable, doivent être appliquées avant toute sollicitation mécanique importante.

Conclusion

L’escalade est une activité sportive récente, en plein essor, où le membre supérieur, en particulier l’appareil fléchisseur des doigts est fortement sollicité.
La rupture de poulie digitale est une pathologie fréquente chez le grimpeur de haut niveau. Le diagnostic, qui suppose une bonne connaissance de l’anatomie et de la physiopathologie, pourra être porté par le médecin de Médecine Physique et Réadaptation, le médecin du Sport, voire le chirurgien.
Le diagnostic, essentiellement clinique, est aisément confirmé et précisé par les examens d’imagerie moderne.

La prise en charge thérapeutique nécessaire, qu’elle soit conservative ou chirurgicale permet au prix de près de trois mois de rééducation et d’arrêt sportif, d’obtenir un résultat très satisfaisant, avec dans notre expérience une reprise de l’escalade à un niveau au moins égal à celui du moment de l’accident dans 9 cas sur 10.